Gérard de Nerval : AURÉLIA
Mot de l’éditeur
Dans le manteau que portait le cadavre de Gérard de Nerval (Gérard Labrunie) — pendu à une grille de l’atelier du serrurier Boudet, au numéro 4 de la sinistre rue de la Vieille-Lanterne dans la nuit du 25 janvier 1855 — on a trouvé les feuilles manuscrites du texte intitulé « Le Rêve et la Vie ». C’était Aurélia, dont la première partie avait déjà paru le 1 janvier 1855 dans la Revue de Paris, le mois même de la mort du poète. La seconde partie, non entièrement révisée par son auteur, car il peinait à l’achever, fut publiée le 15 février.
Voici l’ultime texte de Nerval, la touchante description de sa folie lucide, de son rêve éveillé, de son mysticisme, de son aliénation. Son testament poétique, son chef-d’œuvre, la clé de son écriture, le texte nourrissant des exégèses…
Qui est Aurélia ? Évoquons Jenny Colon1Née Marguerite Colon le 5 novembre 1808., actrice et cantatrice à l’Opéra-Comique, dont le poète tombe amoureux en 1833. Il lui déclare son amour en 1837, l’année de la première de Piquillo à l’Opéra-Comique (livret de Nerval en collaboration avec Dumas) où Jenny tient le rôle principal de Silvia. Elle ne répond pas à son sentiment. Elle se marie en secondes noces avec le flûtiste Louis-Marie-Gabriel Leplus en avril 1838. Jenny Colon meurt le 5 juin 1842 à l’âge de 33 ans.
Cet échec amoureux et la mort de Jenny nourrissent l’écriture de Nerval. « Ma seule étoile est morte… » se lamente le poète — ténébreux, veuf, inconsolé — dans le sonnet El Desdichado2L’e-book du recueil Les Chimères est disponible aux Éditions Toute Chose dans sa version intégrale, avec variantes.. Jenny Colon devient une figure de l’idéal féminin, de l’amour illusoire et inatteignable, un des personnages du théâtre de la folie de Gérard et d’une souffrance sentimentale qui parcourt la vie entière de Nerval. Jenny Colon est Silvia, Aurélie (actrice dépeinte dans la nouvelle Sylvie), Aurélia.
À travers la figure du féminin, Nerval tente aussi de rétablir, obsessionnellement, des liens d’affection avec sa mère qu’il n’a pas connue, et dont il n’a obtenu ni tendresse ni amour. Madame Labrunie suit le père de Gérard, médecin-adjoint à la Grande-Armée, et meurt en Silésie à l’âge de 25 ans, en 1810 (Gérard a 2 ans).
À travers Aurélia, le poète rejoint les mondes occultes, indestructibles, où l’on peut s’approcher des âmes des morts. La première crise de folie de Nerval a lieu en 1841 et ainsi, petit à petit, l’auteur des Chimères s’éloigne du monde réel pour habiter le monde du Rêve et plonger dans la nuit, si ce n’est descendre aux enfers. « Le Rêve est une seconde vie. » Il en donne une troublante et lumineuse introspection, une composition littéraire sans pareille.
La présente édition est accompagnée, en annexe, de Lettres à Aurélia, dont la destinatrice fut Jenny Colon, et dont le contenu allait s’intégrer dans le texte du récit, du texte de Ludovic Halévy Souvenir de jeunesse se remémorant Gérard, Jenny et l’ambiance du Paris théâtral des temps nervaliens, et enfin de Chronologie de la vie de Gérard de Nerval.
Nous sommes heureux d’associer à cet ouvrage la jeune dessinatrice Aurore Fénié qui, s’inspirant des images littéraires de Nerval, a produit, de sa plume noire, des commentaires aussi sensibles qu’oniriques.
Bonne lecture !
Tomasz Cichawa