HISTOIRE POUR DIMITRIUS de Gabrielle Sapelier

Extrait de la préface à “Histoire pour Dimitrius” de Gabrielle Sapelier

Darie Coopens aime le jazz, le cinéma, la peinture… l’Art. Elle écrit des poésies. Elle voudrait que le Beau soit le synonyme du Bon, elle aimerait vivre dans un monde juste. On la trouve belle femme. Elle aime la vie. Seulement…
À la suite d’un accident de vélo à l’âge de 22 ans, où sa tête heurte violemment un rocher, Darie commence à souffrir de troubles dépressifs. Le père, figure autoritaire de la famille, homme à la froideur des vents du Nord, n’est pas un père aimant. Il décide d’éloigner sa fille et la place dans des institutions psychiatriques frontalières françaises et belges. Ce souvenir initial proposé au lecteur remonte aux années cinquante.
La psychiatrie provinciale et taciturne, avec ses asiles habités par des patients fantômes, des zombies surveillés par des bonnes sœurs aux ordres des « médecins Sans-Bonté » est à l’image d’une société pénitentiaire d’un autre monde et d’un autre temps.
On y administre des remèdes pire que le mal, on y pratique des cures de jets d’eau glacée et d’électrochocs, on y distribue des coups de pied au cul aux patients réfractaires. Le séjour s’y déroule dans l’enfermement strict, sous contraintes et menaces et sans aucun dialogue ou échange thérapique.

Darie habite ces asiles-prisons, parcourt leurs architectures sinistres semblables à celles que Piranesi a imaginées dans ses gravures. Là, où l’humanité est incarcérée, quelqu’un a mis le feu à l’Enfer. […]

Tomasz Cichawa


Histoire pour Dimitrius, Gabrielle Sapelier

Histoire pour Dimitrius de Gabrielle Sapelier est un récit autobiographique, publié à titre posthume.


Extraits du livre

HISTOIRE POUR DIMITRIUS de Gabrielle Sapelier, 1re partie

Extrait 1 (incipit)

C’est beaucoup plus difficile ce soir peut-être, parce que l’odeur des châtaignes, première bouffée d’hiver et la première étoile, je n’ai pu les partager. Pourquoi serais-je une femme comme les autres ?, se disait Darie. Ou pourquoi ne serais-je pas une femme comme les autres ?

Schumann écrit toujours de la musique amoureuse. C’était un malade, comme moi. Il s’est suicidé. J’ai essayé. J’en ai eu envie.

Envie quand ? Étrange, d’en arriver là. Aussi étrange que de sentir son petit tas de cendres dans le creux d’une épaule, après avoir fait l’amour. N’est-ce pas ?

HISTOIRE POUR DIMITRIUS de Gabrielle Sapelier, 2e partie

Extrait 2

D’abord, visitons. Des fenêtres aux barres d’acier. On apercevait des cours de gravier aux grillages montant haut. Bien entendu, aucune fenêtre ou porte ne s’ouvrait sans clef. Et la pièce s’étendait en longueur, avec pour centre une toilette. Un W.C. Oui, c’était là que se passait l’opération. En public. Les murs étaient d’un jaune marron, salis comme le plafond. La lumière, faible. Contre les murs, des chaises de fer, plus ou moins occupées, car certaines femmes marchaient, circulaient, tournaient.

De là on passait, à l’heure des repas, dans une salle un peu moins jaune, dont le carrelage humide sentait le savon noir. Les tables couvertes de linoléum et les chaises, de fer. Ce fut la première fois que je pouvais m’adresser à quelqu’un. Ma voisine de table. Le déjeuner était servi dans une gamelle en fer, avec une cuiller en fer et un quart de fer, c’est tout comme couverts. Et comme nourriture, haricots et pommes de terre à l’eau. De l’eau, à boire.

C’est alors que pour la première fois j’entendis revenir sans cesse dans la conversation le mot « choc ». Oui, on m’en a fait ce matin, mademoiselle. J’ai mal à la tête. J’en ai soixante-dix et demain ils recommencent.

HISTOIRE POUR DIMITRIUS de Gabrielle Sapelier, 3e partie

Extrait 3

Des arbres, des arbres, des arbres. Nous traversons la forêt. Quelquefois, il faut s’arrêter, parce qu’une biche vient se mettre en travers de la route. Le soleil filtre à travers les feuilles bien vertes. C’est un printemps somptueux. Nous ne pouvons pas rouler bien vite. Le chemin est un peu tortueux. Mais pas d’importance. Vous avez l’impression d’avoir encore toute une vie devant vous. Frédéric m’a téléphoné aux aurores, par surprise, me disant : tu viens, on va déjeuner à la campagne.

Bien sûr, je viens. J’étais ravie. Depuis quelques jours, je piétinais. Je me sentais un peu cloîtrée chez moi. Et, malgré mon acacia en face de ma fenêtre, j’avais une envie folle de respirer profondément le printemps.